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Pétrole russe : trop de brèches dans les sanctions

Depuis le début de l’agression de l’Ukraine par la Russie, l’Union européenne (UE), les Etats-Unis et le G7 ont imposé des sanctions sans précédent à l’encontre de Moscou. Les restrictions sur les exportations de pétrole constituent un volet essentiel du dispositif. Elles permettent de réduire les recettes que tire l’Etat russe de ce marché très lucratif, indispensable pour financer son effort de guerre. Aussi le pays déploie-t-il des efforts considérables pour tenter d’échapper à ces sanctions. Une enquête du Monde parue le 30 octobre révèle ainsi un système de contournement à grande échelle orchestré par une galaxie de sociétés affiliées à Coral Energy, une entreprise de négoce en matières premières.
Basée à Genève et à Dubaï, cette société était déjà un partenaire privilégié de la Russie avant la guerre en Ukraine. Même si, depuis, elle affirme avoir mis fin à ses contrats russes début 2022, et assure respecter le régime de sanctions occidentales, notre enquête vient démentir cette version.
Grâce à des sociétés offshore, une flotte de cargos fantômes, des transbordements de cargaison effectués dans la clandestinité, Coral Energy a permis à la Russie d’écouler une partie importante de son pétrole vers le reste du monde de façon illégale. En outre, son activité de négoce a été alimentée par le financement de banques européennes, dont la Société générale, mais aussi par les achats de plusieurs majors pétrolières, dont TotalEnergies.
Cette affaire révèle les failles du dispositif occidental, dont l’efficacité s’érode notamment concernant le système des prix plafonds au-delà desquels la Russie ne peut pas vendre son pétrole. Le but est d’amputer les revenus de cette dernière, sans provoquer une hausse des cours mondiaux, qui relancerait l’inflation en Europe et qui pèserait sur l’endettement des pays du Sud, au risque de les voir prendre un peu plus leurs distances avec les Occidentaux. Mais aujourd’hui, 70 % des exportations se négocient au-delà de ce prix plafond, la Russie augmentant ainsi considérablement ses gains.
L’UE peut s’en vouloir d’avoir autorisé la Grèce à vendre quantité de pétroliers à la Russie en 2022. Ils sont venus grossir ces flottes de navires fantômes sous pavillon de complaisance, qui permettent de brouiller le traçage de l’origine des hydrocarbures pour leur appliquer des prix supérieurs. Sans compter le risque environnemental qu’ils font peser sur les côtes européennes.
Décréter des sanctions n’est pas le plus difficile. Encore faut-il les faire respecter. Or l’UE ne dispose pas, comme les Etats-Unis, d’une administration unique pour enquêter sur de possibles violations. C’est à chaque Etat membre d’appliquer les sanctions. Surtout, les moyens alloués sont insuffisants, et l’arsenal juridique reste inadapté. Le risque pénal est inexistant dans beaucoup d’Etats, et les amendes infligées peu dissuasives.
A cela s’ajoute l’hypocrisie de banques et de compagnies pétrolières qui travaillent avec des sociétés à la réputation douteuse. Peu vigilantes sur les transactions suspectes, elles cherchent surtout à se couvrir juridiquement.
Se pose enfin la question de la responsabilité des Etats qui abritent le négoce de pétrole en lui permettant de prospérer en dehors de toute transparence. La Suisse a eu le courage de sortir de sa neutralité en adoptant la plupart des sanctions. Elle doit désormais montrer qu’elle est capable de les faire respecter par les banques et les sociétés de négoce installées sur son sol.
Le Monde

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